Les droits du patient passés à la loupe
Thierry Monin – Chargé de projets à la LUSS
En 2002, une loi a été votée pour inscrire les droits du patient dans un cadre juridique. Cette loi a été innovante à plus d’un titre consacrant ainsi la position des patients dans le système de santé. L’objectif était d’améliorer la qualité des prestations de soins mais aussi de promouvoir la qualité de la relation entre le patient et le professionnel.
Les organisations de patients avaient été associées aux travaux parlementaires.
Plus de 20 ans plus tard, cette loi fait l’objet d’une réforme en profondeur tant sur la forme que sur le fond. L’organisation de notre système de santé a fortement évolué, il fallait donc adapter le texte à son époque : soins intégrés, informatisation des données, utilisation de nouvelles technologies…
La loi de 2002 consacrait 8 droits du patient :
- Bénéficier d’une prestation de soins de qualité
- Choisir librement le praticien professionnel
- Être informé sur son état de santé
- Consentir librement à la prestation de soins, avec information préalable
- Savoir si le praticien est assuré et autorisé à exercer sa profession
- Pouvoir compter sur un dossier tenu à jour, de pouvoir le consulter et en obtenir copie
- Être assuré de la protection de sa vie privée
- Introduire une plainte auprès d’un service de médiation
Ces droits ne disparaissent pas dans la réforme 2024, mais ils sont adaptés et précisés. Cette réforme, qui a abouti ce 1er février 2024 en séance plénière de la Chambre, a fait l’objet d’une large concertation avec les acteurs concernés dont les organisations de patients. Ainsi, la LUSS (et son homologue néerlandophone la Vlaams Patiëntenplatform) a été auditionnée en juin 2022 par la Commission Santé et Egalité des Chances de la Chambre. Elle est également intervenue lors d’un colloque organisé en octobre 2022 par le SPF Santé publique.
Dans cet article, nous évoquerons également la loi qualité, c’est-à-dire la loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé. On trouve dans cette loi notamment des dispositions portant sur les exigences relatives à la qualité de la pratique des soins de santé, portant sur les compétences et visa, la continuité des soins et le dossier patient.
Cet article n’a pas pour vocation d’apporter un regard critique sur cette réforme mais de donner des indications sur les orientations prises par le législateur.
De nouvelles définitions
Qui est concerné par la loi ?
La loi commence par une série de définitions (de qui et de quoi parle-t-on dans la loi) ; certaines d’entre elles sont modifiées et d’autres ajoutées.
Ainsi, la notion de patient est revue : « le patient est la personne physique qui bénéficie de soins de santé,
à sa demande ou non ».
La loi de 2002 définissait le patient comme « la personne physique à qui des soins de santé sont dispensés, à sa demande ou non ».
L’intention du législateur est donc de sortir d’une définition passive du patient et de la remplacer par une formulation active (le patient participe aux soins). Le praticien professionnel devient « professionnel des soins de santé ».
Les notions de personne de confiance et de représentant apparaissaient dans la loi de 2002 mais n’étaient pas définies. Elles le sont avec cette réforme. A noter aussi qu’un Arrêté Royal pourra contraindre des personnes qui ne sont pas des professionnels des soins de santé (par exemple un aidant proche ou un éducateur) mais qui sont néanmoins autorisées à accomplir certaines prestations de soins de santé, au respect de certains droits du patient. Sont ajoutées également les définitions de la planification anticipée et de la déclaration anticipée.
La relation entre professionnel des soins de santé et patient
Le texte précise que « le professionnel des soins de santé et le patient contribuent ensemble à la prestation optimale de soins de santé au patient.» L’intention du législateur est de sortir du concept de « devoir de collaboration » pour tendre vers une situation où la prestation des soins de santé devient une tâche conjointe du professionnel et du patient, pour laquelle ils sont conjointement responsables.
Une nouvelle disposition prévoit que « le patient et le professionnel des soins de santé se comportent avec respect dans leurs relations mutuelles, avec les autres patients et les autres professionnels des soins de santé ». La loi ne précise pas ce que l’on entend par « se comporter avec respect ».
Cette disposition semble viser des situations d’agressivité et de revendication du patient, de sa personne de confiance ou de son représentant mais probablement aussi des comportements inappropriés de professionnels des soins de santé.
Les droits du patient d’un peu plus près
Les droits seront abordés de manière plus systématique dans les prochains numéros du Chaînon.
Le droit de bénéficier de prestations de qualité [voir Le Chaînon n°60, septembre 2022]
Un nouvel alinéa mentionne que « le professionnel des soins de santé respecte la dignité humaine et l’autonomie du patient et tient compte des objectifs et des valeurs de ce dernier. Le cas échéant, le professionnel des soins de santé organise à cet effet la planification anticipée des soins. »
Cet ajout correspond à un évolution du modèle de soins qui n’est plus centré sur les soins mais sur la personne et ses objectifs de vie. Une prestation de qualité est celle qui se centre sur le patient.
Le droit au libre choix du professionnel [voir Le Chaînon n°60, septembre 2022]
L’article 6 de la loi est complètement revu.
On peut noter que « lorsqu’un professionnel des soins de santé fait l’objet d’une mesure disciplinaire, une mesure administrative relative à sa pratique qui ne lui permet plus de remplir les conditions pour exercer sa profession, il a l’obligation d’en informer le patient ».
De plus, « à la demande du patient, le professionnel des soins de santé informe le patient de sa compétence et de son expérience professionnelles ».
Le professionnel a aussi l’obligation d’informer le patient à propos d’une couverture d’assurance ou d’une autre forme individuelle ou collective de protection concernant sa responsabilité individuelle.
Le droit à l’information [voir Le Chaînon n°60, septembre 2022]
On peut lire à ce sujet que « lors des concertations, le professionnel des soins de santé s’informe de la situation et des préférences en matière de soins actuels et futurs du patient. Il fournit les informations dans un souci de qualité et de manière adaptée au patient.
Le professionnel des soins de santé prévoit à cet effet le temps suffisant et invite le patient à poser des questions. Sur demande ou s’il le juge pertinent pour le patient, il fournit en outre par écrit, soit par un support papier soit sous forme électronique les informations ».
Par exemple, le professionnel peut estimer utile de remettre une brochure qu’il estime adaptée au patient.
Cet article s’inscrit dans la logique voulue par le législateur : aller vers un modèle de soin centré sur le patient, où l’on privilégie une information adaptée au patient. L’accent est mis sur la qualité de l’information et sur l’interactivité qui doit prévaloir entre le professionnel et le patient.
Concernant le principe de l’exception thérapeutique (1), la réforme innove dans la mesure où « si le professionnel des soins de santé estime que la communication de toutes les informations causerait manifestement un préjudice grave à la santé du patient, le professionnel des soins de santé s’emploie à examiner si les informations visées peuvent être communiquées graduellement. De plus, à titre exceptionnel, le professionnel des soins de santé peut décider de ne divulguer aucune information au patient qu’à condition d’avoir consulté à ce sujet un autre professionnel des soins de santé ».
Dans ces deux cas, le professionnel des soins de santé ajoute une motivation écrite au dossier du patient et informe le cas échéant la personne de confiance.
Il vérifie régulièrement si le préjudice manifestement grave est encore présent et dès qu’il estime que ce préjudice n’existe plus, il communique les informations.
(1) Dans l’exposé de la Loi relative aux droits du patient, le principe de l’exception thérapeutique était définie comme suit : «Dans le cadre de l’information du patient, le médecin doit tenir compte de sa capacité à supporter l’information. À cet égard, on peut se demander s’il ne serait pas possible de prévoir, pour le médecin, la possibilité de NE PAS communiquer pareilles informations afin de protéger le patient. C’est ce que l’on appelle l’exception thérapeutique. Cela signifie que des informations exceptionnelles (d’où le terme: exception) sur l’état de santé et le pronostic ne doivent pas être communiquées lorsque ces informations sont susceptibles de causer un préjudice grave au patient. (D’où le terme : thérapeutique au sens où, pour la santé du patient, la non-communication est préférable à la communication).»
Le droit de consentir [voir Le Chaînon n°61, décembre 2022]
Le principe du consentement libre à toute intervention moyennant information préalable est complétement réécrit. Le texte précise à présent les informations qui doivent être communiquées par le professionnel des soins de santé au patient préalablement à l’intervention. Le patient conserve le droit de refuser ou retirer son consentement à une intervention.
Le texte précise également qu’un patient a le droit d’enregistrer sa volonté concernant une intervention déterminée pour un moment où il ne serait plus capable d’exercer ses droits en tant que patient, dans une déclaration anticipée. Un Arrêté Royal devra préciser de quelle manière le patient pourra enregistrer sa déclaration anticipée.
Le professionnel des soins de santé doit en tenir compte, mais la déclaration anticipée n’est pas toujours contraignante pour le professionnel.
Celui-ci dispose en effet d’une « liberté diagnostique et thérapeutique » en vertu de la loi « qualité ».
En cas d’urgence, lorsque les professionnels des soins de santé doivent intervenir sans savoir si le patient a exprimé sa volonté, et en l’absence d’un représentant légal, ils procèdent à toute intervention nécessaire dans l’intérêt du patient.
Le dossier patient [voir Le Chaînon 61, décembre 2022]
Quelques modifications (non exhaustives) à retenir :
- Le droit du patient de recevoir des explications sur le contenu du dossier le concernant. Ceci complète la disposition actuelle concernant le droit pour le patient de consulter son dossier, il peut demander au professionnel de lui fournir des explications.
- Le texte ne fait plus référence aux annotations personnelles dans la procédure de consultation du dossier. Dans l’exposé des motifs de la loi de 2002, les annotations personnelles étaient décrites comme étant « Par annotations personnelles, on entend les notes que le praticien professionnel a dissimulées à des tiers, voire aux autres membres de l’équipe de soins, qui ne sont jamais accessibles et qui sont réservées à l’usage personnel du prestataire de soins.»
- Le représentant d’un patient mineur décédé et les parents jusqu’au deuxième degré inclus disposent du droit de consulter le dossier du patient mineur décédé ainsi que le droit d’en obtenir copie. A condition que la demande des parents/représentant soit suffisamment motivée et spécifiée et pour autant que le patient ne s’y soit pas opposé expressément.
- Le patient détermine s’il reçoit la copie du dossier par écrit (par papier ou sous forme électronique). Toute première copie du dossier est gratuite. Pour toute copie supplémentaire, seuls des frais administratifs peuvent être portés en compte et pour autant qu’ils soient raisonnables et justifiés sans dépasser le coût réel.
- Un Arrêté Royal devra préciser à partir d’une date déterminée les modalités par lesquelles le patient a accès ses données de santé. Le Roi pourra fixer une date distincte selon les catégories de professionnels des soins de santé.
- Le professionnel des soins de santé utilise pour la possibilité d’accès aux données les plates-formes de données de santé mises à disposition ou validées par les autorités publiques.
Le droit à la protection de la vie privée et au respect de son intimité [Voir Le Chaînon n°61, décembre 2022]
Le droit à la protection de sa vie privée nouvelle mouture s’inscrit dans le cadre du règlement général de protection des données (RGPD), particulièrement en ce qui concerne le traitement secondaire des données de santé. Le patient a le droit à toutes les informations sur l’utilisation de ses données de santé et le droit de s’opposer à l’utilisation de ses données de santé.
Le patient a droit au respect de son intimité. Il peut demander que la personne de confiance qu’il a désignée soit présente lors de l’intervention du professionnel des soins de santé. Comme précédemment, le patient peut s’opposer à ce que des personnes dont la présence n’est pas justifiée (par exemple des étudiants) assistent aux soins, examens et traitements.
Le droit de déposer une plainte [Voir Le Chaînon n°62, mars 2023]
Les missions de la fonction de médiation (dans le cadre hospitalier) sont réécrites comme suit :
La prévention des questions et des plaintes par le biais de la promotion de la communication entre le patient et le professionnel des soins de santé
La médiation concernant les plaintes relatives à l’exercice des droits du patient en vue de trouver une solution
L’information du patient au sujet des possibilités en matière de règlement de sa plainte en l’absence de solution ou lorsque le patient le demande
La communication d’informations sur l’organisation, le fonctionnement et les règles de procédure de la fonction de médiation
La formulation de recommandations permettant d’éviter que les manquements susceptibles de donner lieu à une plainte ne se reproduisent
La rédaction d’un rapport annuel
Les missions du service de médiation fédéral « Droits du patient » sont également réécrites :
réorientation du patient si ce service n’est pas compétent, médiation dans le cadre ambulatoire, coordination des fonctions de médiation, évaluation du fonctionnement des fonctions de médiation et formulation de recommandations à ce sujet, rédaction d’un rapport annuel.
La réforme instaure le droit pour le représentant d’un patient mineur décédé de déposer une plainte auprès de la fonction de médiation compétente (médiation hospitalière ou service de médiation fédéral droits du patient) pour autant que le patient ne s’y soit pas opposé expressément.
De même, pour le patient majeur décédé, elle octroie ce même droit à l’époux, le partenaire cohabitant légal, le partenaire cohabitant de fait, les parents du patient jusqu’au deuxième degré inclus et le représentant du patient au moment du décès, pour autant que le patient ne s’y soit pas expressément opposé.
Important ! Les documents, communications écrites et orales faites par la fonction de médiation ou les parties concernées au cours de la médiation sont confidentiels et ne peuvent donc être utilisés par la suite dans le cadre d’une autre procédure (sauf accord des parties).
Le rôle de la personne de confiance étendu [voir Le Chaînon n°62, mars 2023]
La personne de confiance est définie dans la réforme comme « la personne qui assiste le patient dans l’exercice de ses droits en tant que patient. »
La possibilité pour le patient de se faire assister d’une personne de confiance est étendue à l’ensemble des droits du patient (ce qui n’était pas le cas dans la loi de 2002). Le patient peut désigner une ou plusieurs personnes de confiance. Il détermine les compétences de celle-ci.
Un Arrêté Royal devra préciser les modalités selon lesquelles le patient peut désigner le cas échéant par voie électronique une personne de confiance et déterminer la portée de la compétence de cette personne de confiance.
Le représentant du patient
Le représentant du patient est « une personne qui exerce les droits du patient lorsque celui-ci n’est plus en mesure d’exercer lui-même ses droits en tant que patient ».
Les règles concernant le patient mineur n’ont pas été modifiées : ce sont les parents qui exercent l’autorité parentale (ou le tuteur).
Cependant, la loi indique que « suivant son âge et sa maturité, le patient est associé à l’exercice de ses droits. Les droits énumérés dans cette loi peuvent être exercés de manière autonome par le patient mineur qui peut être estimé apte à apprécier raisonnablement ses intérêts ».
Rappelons que la loi prévoit que « les droits d’une personne majeure inscrits dans la présente loi sont exercés par la personne même, pour autant qu’elle soit capable d’exprimer sa volonté pour ce faire.
Le représentant exerce les droits du patient dans l’intérêt du patient et conformément aux valeurs, aux préférences en matière de soins actuels et futurs et aux objectifs de vie exprimés par le patient. Il associe le patient autant que possible et proportionnellement aux facultés de compréhension du patient. »
Le patient peut désigner une personne pour agir comme représentant. Cette désignation comme « mandataire » s’effectue par un mandat écrit spécifique, daté et signé par cette personne ainsi que par le patient, mandat par lequel cette personne marque son consentement.
Ce mandat peut être révoqué par le patient ou par le mandataire désigné par lui par le biais d’un écrit daté et signé.
Toutefois, un Arrêté Royal viendra préciser la manière dont le patient peut désigner le cas échéant par voie électronique le représentant et les proches, ainsi que la manière dont un professionnel de soins de santé reçoit connaissance de l’identité du représentant.
Et maintenant ?
Une fois publiée au Moniteur belge, la loi relative aux droits du patient « new look » devra faire ses preuves sur le terrain. Il s’agira de la faire connaître auprès des patients, des proches et des professionnels des soins de santé. La pénurie de personnel soignant, la dégradation de leurs conditions de travail notamment sont autant d’obstacles potentiels à une application adéquate de la loi.
Des mesures complémentaires seront certainement nécessaires pour permettre au personnel soignant d’être disponible pour les patients, de pouvoir prendre le temps d’un dialogue avec le patient, de pouvoir travailler sereinement.
Le patient doit pouvoir se sentir écouté, entendu dans les demandes, impliqué dans la prestation de soins, pouvoir poser des questions, comprendre sa situation de santé.
Le contexte actuel des soins de santé est certes difficile mais cette loi est aussi une opportunité de faire évoluer le système de santé vers plus d’écoute, d’empathie, de dialogue et de participation.
La Commission fédérale droits du patient, où siègent les organisations de patients (la LUSS et la VPP), sera certainement amenée à évaluer la loi et à formuler des avis et recommandations.
Référence légale
Projet de loi modifiant la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient et modifiant les dispositions en matière de droits du patient dans d’autres lois en matière de santé. Doc 55 3676/004
http://tinyurl.com/5ypsmphz
Ce texte a été adopté lors de la séance plénière de la Chambre du 1er février 2024 et sera publiée au Moniteur Belge prochainement.
Plusieurs Arrêtés Royaux devront être pris pour concrétiser certaines dispositions de la loi.
Tous les articles sur les droits du patient
Retrouvez Le Chaînon sur le site de la LUSS.
Le Chaînon n°60, septembre 2022
Article 5 : le droit de bénéficier d’une prestation de soins de qualité
Article 6 : le droit de choisir librement le praticien professionnel
Article 7 : le droit d’être informé sur son état de santé
Le Chaînon n°61, décembre 2022
Article 8 : le droit de consentir librement à la prestation de soins avec information préalable
Article 9 : le droit de pouvoir compter sur un dossier tenu à jour, pouvoir le consulter et en obtenir copie
Le Chaînon n°62, mars 2023
Article 10 : Le droit d’être assuré de la protection de sa vie privée et du respect de son intimité
Articles 12 à 15 : la représentation du patient
Le Chaînon n°63, juin 2023
Article 11 : le droit d’introduire une plainte auprès d’un service de médiation
Le Chaînon n°64, septembre 2023
Focus sur la loi qualité